Dans mon champ


Dans le champ derrière chez moi
il y a
deux arbres à la chevelure comme deux poumons.
On dirait qu’avant, ils ne faisaient qu’un.
On dirait qu’un grand vide les a séparés
avec une hache venue du ciel.
On dirait on dirait
mais on pourrait aussi dire
que c’est grâce à ce vide qu’ils ne font qu’un à deux
sinon
ils ne feraient qu’un tout seul.

***

Tous les matins, je m’assois sur la même souche d’arbre
avec la même tasse pleine de café
avec le même bonnet blanc
la même écharpe blanche
le même manteau bleu acheté à la va-vite pour grimper sur le mont Kinabalu en Malaisie avec un auto-collant d’un ice hotel lapon collé dessus.
Ce n’est pas fait exprès
mais tous les matins, pendant que je suis assise sur ma souche
le bus scolaire passe sur le chemin en bas du champ.
Lui aussi fait la même chose tous les matins.
Maintenant, je prends un certain plaisir à le voir arriver
comme un voisin qu’on croise tous le jours à la même heure
que l’on salue mais à qui on ne sait jamais quoi dire.
On aimerait entamer une conversation
devenir copains
s’inviter pour l’apéro
mais les premiers mots sont toujours tellement ennuyeux et banals
qu’on préfère se taire et continuer à imaginer la vie de l’autre
pour ne pas être déçu
et découvrir par exemple
que le voisin zozote
ou qu’il est raciste.

Assise sur ma souche
je me plais à imaginer ce que les enfants se disent.
Ils ont remarqué ma présence
même position, mêmes vêtements tous les matins
et dans une terre de contes comme la nôtre
ce n’est jamais anodin.
Je me plais à me dire
que je vais peut-être devenir la dame étrange
mystérieuse
que des légendes circuleront sur moi
un peu comme la dame aux pigeons.
Un jour, peut-être, l’un d’eux viendra me voir et je lui raconterai
le le lever de soleil au-dessus des nuages tout en haut du mon Kinabalu
les sculpture de l’ice hotel et la nuit lapone aux étoiles si nombreuses qu’on ne voit plus le noir du ciel
les aurores boréales enflammant l’horizon du Yukon
et l’enfant sera déçu.
« Je croyais », dira-t-il, « que vous transformiez les gens méchants en pigeons. »


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