1/5 – Dans le Tarn : Démocratie participative au cœur de l’Occitanie.


Je me demande à quoi ressembleraient les causses si je pouvais les voir d’en haut. Peut-être auraient-ils l’air de grandes pièces de puzzle qui s’assemblent ; entre les plis de terre, on devine sans doute les hameaux, cachés derrière les doigts de sorcière des forêts de chênes encore endormis par l’hiver. Parfois, un château émerge, perché sur une colonne rocheuse, comme un mirador venu d’un autre siècle. Mais en se rapprochant encore de la terre, des tâches de couleur apparaissent : ce sont les explosions des fleurs de printemps. À cette période de l’année, les mimosas éclatent en monades dorées, les cerisiers du japon se couvrent de fuchsia, et les branches nues des magnolias caducs s’alourdissent d’énormes tulipes rose crème. Nous sommes à Penne, dans le Tarn. À première vue, les villages vides semblent figés dans un autre siècle. En s’y promenant, on ne peut qu’imaginer ce que fut la vie quand toutes ces maisons étaient habitées et que les fileuse de chanvre installaient leurs rouets sur les gros pavés des rues étroites. Chaque maison transporte l’histoire – comme celle de Corinne et Denis, en plein cœur du bourg de Penne. La multitude des pièces et une lampe rouge dans ce qui est aujourd’hui un salon de musique raconte que cette grande maison fut peut-être d’abord un hôtel de passe. Plus tard, elle est devenue la résidence d’un certain monsieur Poireau, commissaire de police au Tonkin, dont les souvenirs furent remisés dans la cave. Comment faire pour que toutes ces histoires ne deviennent pas une malédiction pour ceux qui vivent encore là, pour que leur vie et leur village ne soient pas destinés à devenir un musée ne s’animant que l’été, lorsque les touristes débarquent ?

Mais il faut s’approcher encore un peu : en poussant les portes, on découvre une vitalité bien réelle, peut-être plus vibrante encore que là où tout le monde s’agite. Nous sommes accueillis par Erika et Baptiste, et leurs trois enfants, Côme, Antonin et Lucien. Ce territoire a longtemps été celui des vacances de Baptiste, avant que sa mère ne décide d’y élire pleinement domicile. Il y a dix ans, après avoir vécu en Afrique, en Inde, au Pakistan, Erika et Baptiste ont décidé de venir s’installer ici pour y reprendre la Guinguette de Cazals et lui donner une seconde vie. Petit à petit, la famille s’est rapprochée : les parents d’Erika sont aussi venus s’installer. En fin d’année dernière, ils ont fini par la vendre pour reprendre un autre rythme. En 2019, une liste citoyenne a été élue à la mairie de Penne, portant le rêve d’une démocratie participative. Erika fait partie du conseil municipal. Grâce à elle, dès notre arrivée, nous plongeons dans le cœur du village, dans ses problématiques, dans son quotidien. Tous les vendredis soirs, le conseil se réunit pour des assemblées publiques au cours desquelles on parle aussi bien du tracé des randonnées que de l’éclairage public, du nouveau PLUi et des recours juridiques à la commission européenne contre les compteurs Linky. À chaque fois, les mêmes questions se posent : comment inclure les citoyens dans ces prises de décision ? Comment faire entendre toutes les voix ? Peut-on se contenter des opinions de ceux qui se déplacent lors de ces assemblées ? Sont-ils représentatifs de l’ensemble du village ? Nous avons participé à toutes les assemblées et à quelques consultations citoyennes et chaque fois, nous faisons le même constat : pour faire advenir une démocratie participative, il faut apprendre à chacun à penser au bien commun avant de défendre ses propres intérêts. C’est une école, un exercice, quelque chose qui ne va pas de soi. Mais à Penne, les citoyens ont la possibilité d’apprendre à le faire, à se réapproprier des outils qui leur ont trop longtemps échappé des mains pour sentir qu’ils ont un réel pouvoir d’action sur leur quotidien. Les élus sont là pour leur proposer, ils tendent constamment la main. Encore faut-il ensuite que chacun en prenne conscience.

C’est d’ailleurs sur ce point que nous interpelle Catherine, salariée à Familles Rurales du Causse, une association qui, par une multitude d’activités, invite les habitants à faire ensemble plutôt que d’être de simples consommateurs de propositions pré-conçues. Catherine nous le dit : leur objectif est de faire du lien, mais aussi de faire « circuler l’information ». La solitude guette par ici, comme partout ailleurs. Elle nous alerte notamment sur le problème de l’isolement des femmes qui s’installent dans la ruralité, qui suivent souvent un mari ayant un projet professionnel pendant qu’elles restent à la maison, parfois sans voiture. Mais comment vivre correctement ainsi si la vie de village disparaît, si les commerces de proximité disparaissent ? Ce fut d’ailleurs la raison d’être de l’association à sa création : la boulangerie ayant fermé, les femmes ont du s’organiser pour aller chercher du pain. Ensemble, elles ont ensuite imaginé autre chose : créer une friperie pour s’y échanger des vêtements à moindre coût. Petit à petit, une émulsion s’est créée. Elles ont récupéré la structure d’une association existante mais en veille, faisant partie de la fédération Familles Rurales, une fédération d’associations locales œuvrant en faveur des familles sur leur territoire. Rejoindre cette fédération leur a permis d’être accompagnées pour mieux se structurer. Depuis, l’association a imaginé tout un tas d’actions – certaines ont pris, d’autres pas. Catherine insiste : pour réunir les jeunes comme les anciens et les différentes CSP qui habitent le territoire, il faut des choses simples. Tous les ans, la récolte collective des pommes et la presse du jus continue de faire des émules. Et si l’association est saine aujourd’hui (seulement un tiers de financements publics pour deux tiers de fonds propres!), c’est parce qu’elle a su rester attentive aux besoins des habitants. Pour cela, un seul mot d’ordre donc : la communication.

Aujourd’hui, plusieurs friperies existent. À Vaour, un Espace de Vie Social (EVS) a été créé avec un financement de la CAF pour répondre à des besoins locaux. Dans l’ancien commissariat de Vaour, une Maison France Service a été installée. On y trouve un espace de co-working, et un guichet d’accompagnement pour un certain nombre de démarches administratives. Depuis l’année dernière, le Causse Café y a même ouvert ses portes. Tous les jeudis, des bénévoles investissent les cuisines pour préparer vingt-cinq à trente repas pour quiconque veut y déjeuner. Notre amie Chloé, installée récemment à Penne, a participé à l’élaboration d’un menu 100% Portugal : brandade de morue et pasteis de nata pour tout le monde. Chaque semaine, une nouvelle équipe. L’ambiance est chaleureuse, la serveuse en herbe prend ses marques et le cuisinier du jour vient nous saluer à la fin du repas.

C’est d’ailleurs cela que nous retenons de notre séjour à Penne : la convivialité. On nous avait pourtant mis en garde : quand on arrive quelque part, surtout dans la ruralité, il est difficile de s’intégrer. Pourtant, dans ce coin du Tarn, on nous accueille à bras ouverts, on encourage ceux de bonne volonté à venir faire vivre cette terre. Et Penne a de quoi titiller notre imaginaire : les opportunités sont là – comme ce gigantesque complexe, au milieu de la forêt de la Grésigne, qui fut autrefois réservé aux colonies de vacances et dont la mairie a récemment acheté le bâtiment. Cette coquille vide n’attend plus que les volontaires pour lui insuffler une nouvelle âme. On se prend à rêver – un lieu de rencontre pour toutes les associations et tous les habitants du coin. Pourquoi pas, même, y installer quelques habitats légers pour les nouveaux arrivants ?

La convivialité, ce fut surtout celle d’Erika et Baptiste, et de leurs trois enfants. Notre périple n’aurait pas pu mieux commencer. Avec générosité, avec enthousiasme, ils nous ont ouvert les portes de leur maison, nous ont inclus dans leur quotidien, nous ont régalé de leurs regards sur le monde et de leurs plats délicieux. Pour conclure ces trois semaines en leur compagnie, Kiyoshi, le père d’Erika, est même venu préparer des sushis, l’après-midi durant. Le soir, nous avons trinqué au saké avec cette famille qui fut la nôtre pendant tout le mois. La barre est haute pour les prochains lieux que nous allons découvrir.

Retrouvez la série de récits de notre tour de France par ici.


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