Un jour, j’ai décidé de devenir un homme. Je ne sais plus bien comment c’est arrivé ni pourquoi, mais finalement – quoi de plus naturel en somme?
D’abord, les garçons, c’est beau et ça a toujours plein de potes. Et en plus, c’est fort, ça n’a jamais peur de rien et ça n’a jamais besoin de personne tellement ils sont costauds. Les garçons, ça n’a jamais mal, c’est tout en muscles au dedans comme au dehors, et rien que de les regarder, ça se voit qu’ils ont un mental musclé. Moi, avec ma petite peau de fille, j’arrêtais pas de me cogner partout, de m’égratigner à chaque coin de rue, et mes yeux de fille n’encaissaient jamais le coup. Avec ma peau de fille, j’avais toujours des bleus qui disparaissaient pas, alors que je rêvais au contraire d’avoir une peau d’homme toute couturée de cicatrices qui raconteraient mes aventures, une peau burinée, comme les cow-boys, des batailles et des coups durs qui m’auraient toute balafrée mais dont je me serais remise toutes plaies fermées, avec juste une petite trace qui chuchoterait des mystères. Alors j’ai décidé de devenir un homme pour faire tout comme les hommes – et ne plus avoir à m’épiler, aussi.
C’est dur de devenir un homme à cent pour cent, en fait. J’ai trouvé tous les accessoires, tous les costumes, de la bande de copains à l’Aqua di Gio, des pintes de bière aux blagues graveleuses, les aventures sans douleur et les cicatrices dont on rigole. Ma peau de fille, elle, je l’ai enfermée très loin, et avec mes potes justement, on rigolait des pleurs qu’elle faisait, quelque part là-bas derrière mes os. Les filles, c’est nul, ça pleure tout le temps. C’est des chochottes et puis elles ont peur de tout. On est mieux entre mecs, pas vrai les gars?
Et puis j’ai rencontré quelqu’un – un homme justement. Et pas homo pour deux sous. Il a tout chamboulé mon identité sexuelle. Parce qu’avec lui, j’ai pas envie de boire des pintes, de lui taper sur l’épaule ou de draguer dans les bars. Lui, j’aime pas quand il me parle de fille ou de ses cicatrices mystère. Avec lui, je voudrais avoir la peau et les mots doux, et pas les coin-coins des canards qu’on ressort tout le temps en faisant des clins d’œil à la bande. Lui, je voudrais lui cuisiner des gaufres et pleurer sur son épaule en regardant des films nuls, l’admirer et le présenter à mes copines, et lui faire des crises de jalousie quand elles s’approchent trop près, et être chiante comme une fille, et avoir des réactions inexplicables comme une fille, et lui dire que je ne veux pas qu’il s’en aille parce que je tiens à lui, et ne plus avoir honte de mes sentiments mielleux de fille, et ne plus avoir honte d’être une fille, et ne plus avoir honte de dire que j’ai besoin de lui et de ses muscles d’homme parce que j’ai peur, toujours très peur que ma peau de fille se déchire. Avec lui, je voudrais redevenir une fille, pour qu’il m’aime comme une fille.
Mais j’ai pas les couilles pour ça.